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Publié le par Yves

Je reprends ce texte de la fondation Copernic publié dans l'huma qui en faisant un détour par l'histoire social de notre pays incite à se rassembler et ne pas se laisser diviser par la classe dominante et la laisser ainsi toujours augmenter ses profits à nos dépens.
 


L'HUMANITE, 3 avril 2018

Manifester, c’est lutter contre l’insécurité sociale 

Par Christian de Montlibert, sociologue


On n’a pas manifesté seulement pour défendre la situation de catégories de salariés mise à mal par les politiques gouvernementales. Les manifestations défendaient aussi les services publics, les systèmes de retraite, la sécurité sociale, tout ce qui institue la solidarité.  En s’opposant à une croyance qui veut que la conception néolibérale de l économie soit rationnelle et la seule possible, elles défendaient l’idée qu’une société n’est pas une collection d’individus qui s’assemblent au gré de leurs intérêts.  Ce faisant, elles défendaient   un mode de vie et,  plus encore, une « civilisation »  qui s’oppose à l’insécurité sociale.

 

 Ces manifestations, cinquante ans après celles de 1968,  rappellent aussi que la détermination paye : les  10 millions de grévistes de 1968 ont permis d’obtenir des avantages sociaux considérables –ainsi en est-il de l’accord interprofessionnel sur la sécurité de l’emploi, des quatre semaines de congés payés, de la transformation du S.M.I.G. en S.M.I.C., de la mensualisation, des indemnités de maternité, des accords sur la formation continue, sur la formation professionnelle, sur la durée maximale du travail, des préretraites indemnisées à 70 % du salaire, de l’accession des immigrés aux élections professionnelles, de l’interdiction du travail clandestin, de la généralisation des retraites complémentaires, de la mise en place des garanties pour les salariés d’une entreprise placée en liquidation judiciaire, de l’indemnisation du chômage.  Depuis, le patronat s’efforce de reprendre ce qu’il a du concéder avec l’aide, aujourd’hui,  d’un gouvernement qui camoufle son adhésion au néo libéralisme sous le couvert d’une expertise rationnelle.

 

D’une certaine façon, ces manifestations honorent la mémoire de ceux et celles qui se sont battues, depuis l’expansion du capitalisme, pour inventer  des systèmes mettant  en actes  l’égalité et la fraternité. De fait le développement des services publics n’a pu se mettre en place qu’après des luttes importantes entrainant souvent une  répression des militants: il suffit de rappeler les décisions du cabinet de Clémenceau qui, en 1908, fit tirer sur les manifestants grévistes de Draveil et Villeneuve Saint Georges et arrêter 31 dirigeants de  la CGT ou celles de Daladier qui fit promulguer, le 12 octobre 1938, 32 décrets lois qui, non seulement, revenaient sur tous les acquis du Front Populaire de 1936  mais, en plus, permettaient  la chasse aux étrangers clandestins et  la répression de la mobilisation ouvrière ou, aujourd’hui,  les poursuites  pénales contre  des militants.

 

 Manifester c’est défendre un système de lutte contre l’insécurité sociale dont  le développement a été  très lent  tant les classes dominantes s’y opposaient: il faudra 18 ans avant que le projet de loi sur les accidents du travail, qui entraîne de facto une limitation du pouvoir patronal, ne soit voté ! Ce développement resta contesté : la loi Loucheur du 5 avril 1928, qui créait un système d’assurances sociales obligatoires donnant droit à des aides en cas de maladie, d’invalidité ou de maternité, étendues aux travailleurs agricoles en 1930 en permettant à l’État de compenser la faiblesse des cotisations des ouvriers agricoles par une dotation complémentaire, a été très violemment attaquée par les représentants des classes dominantes. Ce développement, enfin, reste limité. Pourtant, l’expérience  de ces quarante dernières années est venue vérifier l’hypothèse du progrès de l’égalité : même si l’intervention de l’État en matière de logement a été tardive, maladroite, très incomplète,  l’amélioration du logement, tant que dure « l’aide à la pierre », n’en a pas été moins réelle ; même si l’intervention de l’État en matière scolaire est le plus souvent limitée par l’étroitesse des budgets, l’accession d’un plus grand nombre d’enfants à une culture générale et technique n’en est pas moins réelle ; même si l’intervention de l’État en matière de protection sociale a été souvent désordonnée et toujours freinée par les exigences patronales, il n’en est pas moins résulté, après des luttes sociales intenses il est vrai, jusque vers le milieu des années soixante-dix, un appareillage efficace : en témoignent la généralisation de la sécurité sociale, l’amélioration des retraites, la création  du S.M.I.C., l’autorisation administrative de licenciement,.... Or c’est ce système que les défenseurs du libéralisme mettent en cause.

 

De fait, il s’agit surtout d’une régression. Sur le seul point des effets du statut des personnels, la comparaison que l’on pouvait établir entre les « gens du public » et les « gens du privé » le fait bien comprendre. Les fonctionnaires se caractérisaient, il y a peu encore, par un moindre taux de suicide, un moindre taux de maladies mentales, une moindre condamnation pénale, une meilleure réussite scolaire et une meilleure intégration sociale de leurs enfants. Il n’est pas jusqu’à la durée de vie qui, à situation professionnelle comparable, ne manifestait des différences à leur avantage. On comprend que les salariés du privé aient souhaité la généralisation de ces conditions d’existence et que, à l’inverse, vouloir aujourd’hui étendre les conditions d’existence du secteur privé au secteur public soit ressenti comme rétrograde ; Vouloir, en plus, présenter cette régression comme un progrès relève d’autant plus de la duplicité des défenseurs des classes dirigeantes que l’on sait déjà ce qu’il en est des conditions de travail et des conditions d’existence,  faute d’y avoir créé des postes de fonctionnaires, des milliers de précaires, intérimaires, contractuels, vacataires dans la fonction publique et dans les collectivités territoriales et hospitalières.

 

 Manifester pour les services publics c’est défendre une « civilisation «  car  soumettre  « l’État social » au régime du secteur privé, c’est, d’une certaine façon, contribuer au relâchement des systèmes d’interdépendance liant les groupes professionnels et les individus les uns aux autres, en favorisant le repliement sur soi ; c’est aussi réduire la possibilité d’une symbolisation des intérêts personnels et ainsi libérer l’agressivité. C’est dire que, dans ces conditions, la probabilité de tensions et de violences interpersonnelles et inter-groupales augmente considérablement tout comme les chances de stigmatisation des catégories jugées « infâmes ».

 

Manifester pour les services publics c’est, enfin, militer en faveur, non seulement de leur maintien mais aussi en faveur de leur extension. C’est dire qu’il faut pousser l’Etat, pour espérer plus d’égalité et de fraternité, à réduire l’efficacité des mécanismes sociaux producteurs d’inégalités, en particulier en contribuant à réduire la violence propre aux mécanismes de marchés (du travail, du logement, etc.), mais aussi créer une  gestion démocratique pour réduire les violences qui peuvent s’exercer dans les lieux de travail, les espaces d’habitat, les institutions de contrôle social… Mais cela n’est possible qu’en freinant la propension des classes dominantes à s’approprier les avantages procurés par le marché.

 

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